J’accueille pour cette deuxième interview de la série « Confidences d’entrepreneures», Sarah François, créatrice de La Vraie Dose, un média et une communauté destinés à lutter contre la solitude de l’entrepreneur. Pari réussi puisqu’elle est suivie par plus de 4500 personnes sur Instagram et compte des milliers d’abonnés à sa newsletter.
Où en étais-tu de ton activité, au mois de mars, avant le confinement?
La vraie dose existait depuis près de deux ans. C’est un média gratuit qui repose essentiellement sur une newsletter et sa page Instagram, mais je propose aussi des événements payants pour la communauté, des e-bouquins et une grosse partie de mon revenu vient du conseil en storytelling et en création de communautés. J’avais lancé, au dernier trimestre 2019, beaucoup de nouvelles choses et j’avais la sensation d’avoir ultra-clarifié le modèle économique de mon projet, mais après quelques semaines de confinement tout s’est bouleversé. En toute sincérité, j’étais hyper heureuse d’être en confinement.
Que veux-tu dire par là?
J’ai bien conscience que c’est une vraie crise sanitaire et je suis méga reconnaissante de ne pas être touchée personnellement, mais je me suis rendu compte que j’étais heureuse d’être assignée légalement à résidence. Pourquoi ? Parce que je partais dans tous les sens. J’avais l’impression d’avoir une stratégie. En fait c’était un pêle-mêle sans queue ni tête. J’avais lancé trop de choses, trop vite, pour me donner l’impression d’avoir une consistance.
Je me suis rendu compte aussi que je gérais très mal mon temps. Mon agenda était plus celui des autres que le mien, ce qui est un vrai sujet quand on crée un projet communautaire et collaboratif. On peut vite se faire bouffer son temps et son énergie.
Te donner l’impression d’avoir une consistance ?
Oui, j’en avais marre qu’on ne prenne pas La vraie dose au sérieux. Quand ta boite ne produit pas un objet physique, mais un objet numérique, ça a l’air impalpable. Je ne suis pas boulangère, je ne vends pas du pain, ça ne se voit pas. Pourtant une newsletter, il y en a pour dix heures de travail en comptant le casting des invités, la création de contenus, la relecture,.… C’est énorme. Le fait est, comme c’est Internet et qu’en plus c’est gratuit, on s’en fout ! En toute sincérité, ça m’a tellement pesé, qu’il m’a pris une folie fin 2019-début 2020 de lancer plein de marques dans la marque, plein de projets dans le projet. J’ai oublié que ma priorité c’était 1/le pourquoi, l’impact que ça a et 2/comment me payer tous les mois et avoir des avances de trésorerie. Parce qu’un jour c’est le Corona, mais, un autre jour, tu te casses une jambe. Il y a plein de situations dans la vie de l’entrepreneur, où il faudrait être meilleur en trésorerie et on l’oublie. Tu lances machin, tu lances truc, tu lances bidule, OK, mais qu’est-ce qui ramène des sous ? Ce qui marche, en plus, ce n’est pas de lancer, mais d’approfondir.
Cette crise a été une révélation. Le Corona fait mal et en même temps, ça nous met droit le nez sur tout ce qu’on n’avait pas identifié auparavant. C’est une bonne chose.
Tu peux m’en dire plus sur ce sentiment de soulagement que tu as ressenti au début?
Je me suis sentie libérée. J’allais enfin pouvoir prendre du recul, sans avoir des impératifs toutes les cinq minutes. Je n’ai pas une bonne qualité d’Internet en plus. Je peux faire très peu de Skype. Ce qui est contraignant, mais dans un sens ce n’est pas plus mal. On a tous dit : « C’est bien, on va se concentrer sur nous » et tous les jours il y a un Live, un café sur Skype…C’est oppressant.
Dès l’annonce du confinement, tu t’es dit il y a beaucoup moins de choses que je vais faire et c’est tant mieux, c’est ça?
Il y a beaucoup moins de choses que je vais faire pour les autres. Je n’ai pas moins travaillé depuis le début du confinement. Je n’ai pas non plus travaillé plus, mais je faisais avant beaucoup de rendez-vous sur Paris. Quand tu n’habites pas dans le centre, le moindre truc c’est 1 h 30 aller et retour, plus le temps de préparation. C’est cool parce que j’adore les podcasts, mais ça reste deux heures que tu as dans la tronche.
C’est aussi une question de silence intérieur. Ces dernières semaines, je m’étais sentie vraiment fatiguée, peut-être parce que j’étais plus sensible à ça, mais aussi parce que mon projet se développe et que sa communauté grandit, d’un brouhaha permanent, des avis des uns, des conseils des autres… Même si tu ne fais pas des rendez-vous, tu participes aux ateliers des copains, tu croises du monde, tu n’as pas envie qu’on te demande : « Tu en es où ? ». Je n’en peux plus d’entendre : « T’en es où ? » Entreprendre seul, c’est l’enfer. Je l’ai vécu au début et je ne peux que conseiller de rencontrer d’autres entrepreneurs. Seulement quand tu as un coup de mou et que tu aurais besoin d’être seule, tes potes entrepreneurs ne le comprennent pas. Ils te sautent dessus.
Je l’ai mal vécu alors qu’à d’autres moments, je le vis bien.
C’est presque une pause sociale en fait?
Oui, c’est une pause sociale où je parle beaucoup plus aux habitants de ma vie perso. C’est très dur à assumer dans un contexte habituel parce que les gens n’entendent pas le stop. Sans doute aussi parce que je ne sais pas assez le donner. Les gens veulent t’aider et ils ne se rendent pas compte. C’est dur parfois de supporter le syndrome du sauveur des autres. J’ai beaucoup aimé l’épisode 61 du podcast d’Aline Bartoli « J’peux pas j’ai business » sur cette thématique du syndrome du sauveur chez les entrepreneurs. On a tous eu des grosses galères et quand tu vois quelqu’un d’autre qui a une galère, et je le sais parce que j’ai été cette personne insupportable, tu as l’impression que tu vas sauver ton toi du passé en tendant la main à l’autre. Mais tout le monde n’a pas envie de recevoir la même aide. C’était difficile pour moi de cacher que j’avais des doutes et des inquiétudes, que j’étais partie dans tous les sens. J’en parlais peu pourtant, mais je pense que je le vibrais. J’ai la sensibilité généreuse, on lit assez facilement mes émotions. C’est génial dans plein de situations, mais quand tu pues le besoin d’aide, c’est compliqué. J’ai donc eu besoin de cette fameuse pause sociale, qui est là de fait. Il y a plein de sollicitations, de Live, mais je ne participe quasiment jamais.
Qu’as-tu fait comme actions par rapport à ton business?
J’ai arrêté la communication pendant une semaine. On ne m’a quasiment pas vue sur les réseaux sociaux à part, le minimum syndical qui était la promotion de la newsletter que j’ai maintenue. C’est ce que j’aime et je trouvais que ce n’était pas pertinent d’un point de vue entrepreneurial de tout arrêter. Il y a le contenu, dans La vraie dose, mais il y a aussi le rendez-vous du lundi, c’est ce qui fait sa force. Je ne voulais pas lâcher ma communauté. À part ça, quasiment invisible sur les réseaux parce que j’avais besoin de digérer. J’avais peur de mal dire les choses, de les dire trop tôt. Je pense que c’est bien de se taire parfois. Je n’avais pas non plus envie de recevoir des avis dans les commentaires ou les messages privés. Les réseaux sociaux, c’est syndrome du sauveurland et je voulais avoir la paix. Donc ma marque s’est tue et j’ai fait ma vie.
Quelques jours après, j’ai fait disparaitre quelques bouts de mon site Internet relatif à mes derniers lancements. En gros, mes actions concrètes ont été de me planquer et de bosser en mode stratégique.
Silence sur les réseaux et tu épures ton offre, c’est ça?
Exactement ça, une période d’épuration.
Et après?
J’ai tranquillement repris le rythme. Je suis redevenue visible sur les réseaux et j’ai même parlé de mon sentiment en tant qu’entrepreneuse par rapport à ce confinement. J’ai dit que je repartais pour un tour. Je laissais tomber tous les trucs que j’avais lancés et j’allais à la simplicité. Ce qui me ramène des sous et ce qui me plait. J’ai eu la chance de faire des ateliers pour les incubateurs de la French Tech sur mon domaine de consulting, le personal branding et la création de contenu et communautés. J’ai maintenu parce que ça me plait, mais je n’ai pas lancé un site sur la partie conseils. J’ai lancé un financement participatif sur Utip, également en mode minimaliste.
Comment vois-tu le futur aujourd’hui?
Cette question me mal à l’aise. Je navigue à vue et j’assume. J’arrête de vouloir monter un gros truc. C’est bien d’avoir de l’ambition. Mais c’est bien aussi d’avoir les pieds sur terre, de ne pas la transformer en une injonction toxique à vouloir toujours plus, sans se rendre compte des trucs bien qui se passent déjà aujourd’hui. Je me recentre donc sur la base de mon projet et j’arrête de me stresser. On parle beaucoup de la vision de l’entrepreneur et de son importance, mais dans cette période, c’est important de savoir accepter l’incertitude. Même si j’avais quinze ans d’expérience, il faudrait avoir l’humilité intellectuelle de dire : « Je ne sais pas » et c’est OK.
En quoi ça va changer ta façon de travailler?
J’ai réalisé à quel point je pouvais avoir la tête dans le guidon. J’étais parfois entrepreneure pour être entrepreneure, plus que pour moi. Ça m’a vraiment interrogée. Même au global sur ma stratégie de carrière, sur ce que je veux faire demain. La vraie dose me bouffe parfois la vie et si ça se trouve demain ça peut s’arrêter. Il faut que ça reste une expérience épanouissante, pas que sur le CV, mais aussi dans mon quotidien.
Que veux-tu dire par entrepreneure pour toi?
Tu oublies parfois que tu deviens entrepreneure pour te permettre de te créer un métier qui t’épanouit. Je ne suis pas forcément dans cette problématique de l’entrepreneur au service de sa vie privée, peut-être parce que j’ai 27 ans, mais ça doit quand même te plaire comme travail. Après il faut aussi avoir les pieds sur terre et accepter que tout n’est pas rose, ne pas se surculpabiliser à l’épanouissement entrepreneurial. C’est pour ça que c’est hyper clé d’être dans le développement de soi-même. Ton projet continue à progresser, mais est-ce que toi tu grandis en tant qu’humain entrepreneur ? Ce n’est pas toujours garanti. Le danger c’est de confondre la croissance de sa boite avec sa croissance personnelle.
Qu’as-tu appris sur toi avec cette crise?
J’étais vraiment quelqu’un de négatif avant d’entreprendre, toujours à me plaindre et je me suis découvert une capacité à relativiser et de résistance à l’incertitude beaucoup plus élevée que ce que je pensais. Si vraiment, ça coule mon projet au point de le mettre en pause, ce sera horrible parce qu’il y a un côté injuste. Et en même temps, faut pas non plus s’avouer vaincu. Certains entrepreneurs ont des commerces qui sont grave en danger et qui trouvent des solutions hallucinantes pour essayer de maintenir leur chiffre d’affaires. Donc juste tu te tais et tu t’inspires de ces gens qui résistent. Tout le monde est dans la mouise, c’est un truc mondial, détends-toi. Je suis plus calme qu’avant, plus capable de lâcher prise sur ce qui ne dépend pas de moi.
Qu’est-ce qui t’a aidée à ça?
Pas mal de choses. Déjà, j’ai pu avoir mes soirées et mes week-ends. Même si on ne fait rien en termes de sorties et que ça me manque aussi, passer du temps hors boulot, c’est cool. J’ai écouté pas mal de podcasts aussi ce qui m’a fait vraiment du bien et pas que des podcasts entrepreneuriaux. C’est un peu le vide fertile qu’évoquent certains. Tout est moins urgent, tout le monde est plus tolérant.
Est-ce qu’il y a autre chose qui t’a aidée?
J’ai fait beaucoup de journaling et ça m’a fait beaucoup de bien. Petite dédicace à Cécile de Prioriser et profiter. C’est très personnel, il faut que chacun trouve son outil. J’écris beaucoup pour La Vraie Dose, car c’est de la création de contenu, mais le sujet est toujours l’entrepreneuriat. Là, j’ai commencé à écrire sur moi. C’est un exutoire de dingue.
Est-ce que tu aurais un livre ou un podcast à nous recommander?
J’écoute pas mal de podcasts business : « J’peux pas j’ai business » d’Aline Bartoli de The Bboost, celui de « génération Do it yourself » de Matthieu Stefani…, mais j’aurais tendance à plutôt conseiller d’aller lire un roman ou des BD. Je suis en train de lire, par exemple, la BD sur Joséphine Baker, de José-Louis Bocquet et Catel. Sinon, un podcast marrant pour se changer les idées : Transfert de slate.fr où les gens racontent les trucs les plus what the fuck.
Autre chose à ajouter?
On ne nous enlèvera pas d’avoir sauté 70 classes à l’école du développement personnel avec l’entrepreneuriat. Il faut s’en rappeler, car c’est des trucs qu’on a gagnés. L’avenir de ta boite n’est pas gagné, mais le passé tu l’as déjà accompli. Même si tu as commencé à entreprendre il y a deux mois, tu as déjà gagné des trucs dans le baluchon.
Merci, Sarah, pour ta générosité et ta sincérité.
Vous pouvez suivre La Vraie Dose sur Instagram Et si vous voulez en connaitre davantage sur le parcours de Sarah, vous pouvez relire ses premières newsletters sur son site.